Volodine avec ou sans nom

Ecrivains d’Antoine Volodine chez Seuil

Volodine ou comment se prendre la tête de façon cruelle et pourtant intelligente et fine ? Là est la question.

J’attendais avec beaucoup d’impatience ce fameux roman Ecrivains, en vue des critiques excellentes que j’ai pu lire. Je me suis dis que j’allais découvrir cet auteur sans plus attendre. Et quel stupéfaction!

Tout d’abord Ecrivains est un recueil de nouvelles toutes plus sombres et alambiquées les unes que les autres.

Ces nouvelles nous dévoilent les tracas de divers écrivains, leur mal être et leurs déviances. On passe donc de l’ex taulard Mathias Olbane qui se pointe un pistolet sur le visage toutes les nuits et fait un décompte minutieux en vue de se tuer pour finalement se recoucher, à l’écrivain Nikita Kouriline qui est l’écrivain le plus ignoré de perestroïka, tout simplement parce qu’il n’a jamais rien écrit.

Vous comprendrez bien vite en lisant Ecrivains, qu’il s’agit d’une série de portraits tous plus absurdes les uns que les autres, à tendance politisante et dénonçant une fois de plus une certaine gêne dans la société contemporaine.

Volodine entre au plus profond de ses personnages en usant volontiers d’une espèce d’humour noir, grinçant et acerbe.

On aime ou on déteste mais ce qui est certain c’est que Volodine ne laisse pas indifférent. Pour ma part, il s’agit d’une découverte incroyable. Sa littérature est provocante et maitrisée. Il sait où il va tout en nous déroutant constamment.

Excellent, tout simplement.

« Volodine avec ou sans nom », titre de mon article, est tout trouvé. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ Antoine Volodine, pseudonyme officiel, joue plusieurs rôles. Cette rentrée littéraire 2010 nous réserve pas un, ni deux mais trois romans du même bonhomme mais sous différents noms. Je vous ai présenté Ecrivains, coup de coeur indiscutable, maintenant il s’agit de Les Aigles puent sous l’avatar de Bassmann.

Les Aigles puent de Lutz Bassmann chez Verdier

Ce qui est interessant, c’est que l’écriture est légèrement différente. Plus souple peut être. Quant au thème, et bien c’est toujours particulier. Les Aigles puent n’est autre que l’histoire d’un homme dans un univers apocalyptique, un peu comme La Route de McCarthy. Un village entier est décimé sous une avalanche de bombe nucléaire. Gordon Koum, revient sur les lieux où il vivait avec sa famille après avoir commis un meurtre. Tout est brulé, il ne reste rien sauf du poison, un rouge-gorge mort et un pantin golliwog. Un dialogue insolite se créé entre les trois personnages. Gordon est irradié à son tour mais fait revivre ses souvenirs, des anecdotes sur sa famille et ses camarades.

Court roman troublant, sombre et parfaitement maitrisé, Les Aigles puent est juste excellent. Encore une fois, on retrouve beaucoup d’absurdité dans les évènements et en même temps beaucoup de profond désarroi. On ne peut qu’être touché par cette histoire étrange.

Pour comprendre juste un peu cette histoire bizarre, je vous cite un passage qui résume parfaitement l’état des choses:

D’un point de vue physique et même psychique, il était inerte, si on excepte quelques instants incongrus pendant lesquels il s’efforçait de poser sa voix sur des objets ou des cadavres qui compagnonnaient avec lui, principalement un passereau mazouté de fond en comble, et un pantin raciste représentant un nègre habillé pour le music hall des Blancs (…) Il s’efforçait de poser sa voix sur ses deux là, se donnant pour tâche de leur faire raconter des histoires pour distraire les morts, pour faire rire les enfants morts et pour rendre hommage aux morts. Ces instants de monologues dialogués étaient séparés du vide par d’immense vide, de vides de silence et des vides pendant lesquels aucune importance n’étaient attribuée aux textes que sonorisaient le bec de l’oiseau mort ou les lèvres de coton de l’immonde poupée, parce que ces textes prenaient souvent le caractère de souvenirs décousus tels qu’on s’en échange entre morts, sans aucune prétention littéraire, sans faire l’effort de les replacer dans leur contexte ou de les justifier.

Cet auteur, Volodine ou Bassmann ou encore Manuela Draeger (dont le titre est sorti en même temps que les autres, soit Onze rêves de suie), tous des hétéronymes, est hors du commun. Ces thèmes sont marqués par l’histoire du XXème siècle, sur une passion incroyable pour l’Europe de l’Est et l’Asie. Son groupe littéraire composé de personnages imaginaires, il le nomme lui-même « post-exotisme ». A l’écart des courants littéraires contemporains, il se réclame engagé et réaliste à l’extrème.

Qui que se soit, l’auteur d’Ecrivains et de Les Aigles puent m’a accroché avec ses deux romans.

Pour découvrir ses personnages semi-réels, voici des sites d’informations:

Lutz Bassmann

Manuela Drager



Catégories :COUPS DE COEUR, LECTURES, Littérature Française, Rentrée littéraire 2010

11 réponses

  1. Aaaaah le premier fait partie de mes prochaines lectures ! Ton enthousiasme fait plaisir à lire, j’ai hâte de m’y mettre 😉

  2. Voilà qui attise ma curiosité !

  3. Waouw ! Je ne connais pas du tout mais cela m’a l’air d’être du lourd !

  4. Je n’ai lu de Volodine que « Biographie de Jorian Murgrave » et c’était un délice littéraire, un vrai bonheur pour qui aime les mots et les textes labyrinthiques.

    • C’est vrai que j’ai ressenti la même chose en lisant Ecrivains. J’ai hâte d’en lire d’autres parce qu’il est vraiment très fort!

  5. Je garde la référence du premier en mémoire! Merci de m’avoir conforté avec ce titre pour le moins appétissant, que j’avais repéré dans l’une ou l’autre sélection.

  6. Koukou,
    J’ai la chance d’avoir lu tous les textes d’Antoine Volodine, j’ai même fait étudier à des élèves un livre pour la jeunesse paru sous le pseudo de M. Draeger. C’est vraiment un auteur majeur de notre époque : sa réflexion politique et humaine passe par un imaginaire hétéroclite et pourtant d’une cohérence incroyable. Commencez éventuellement par Alto solo (Minuit), court et poignant.
    Génial !!!
    JM

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